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mémoires d’un cambrioleur

pour résultat de me décourager tout à fait… Je tombai dans le marasme, et il m’arrivait souvent de ne plus pouvoir marcher… J’avais les jambes comme paralysées et elles ne retrouvaient leur vigueur que lorsque j’étais obligé de les appuyer sur les « aubes » du Tread-Mill. Bientôt, je n’eus même plus la force de penser. Je devenais stupide et demeurais plusieurs heures à la même place, sans faire un mouvement, les yeux fixés sur une fissure du plafond ou une lame du parquet. Je m’étais amusé, au début de mon incarcération, à marquer sur la muraille, avec la pointe d’une épingle, les jours que j’aurais à passer dans la geôle de Reading… Cela faisait 1 825 jours… mais j’avais fini par m’embrouiller au milieu de cette multitude de signes gravés sur la pierre et avais abandonné le petit travail qui consistait, chaque soir, à biffer un chiffre.

C’était maintenant l’indifférence la plus complète de ma part… Je vivais comme un animal… comme une brute. Je n’avais même plus la notion du temps… Les heures sonnaient, mais je ne les entendais pas.

Je me demandais parfois, quand une lueur de lucidité traversait ma pauvre cervelle, si je vivais encore, si tout ce que je voyais autour de moi était bien réel, et si, parti pour un autre monde, je ne poursuivais pas un mauvais rêve commencé sur la terre.

Cet état d’hébétude, cette asthénie » persistante avaient cependant une heureuse influence sur mon état général, car elles me maintenaient dans une sorte de somnolence qui apaisait mes nerfs… J’ai reconnu d’ailleurs que, si j’étais resté à Reading l’homme que j’étais lorsque j’y entrai, je n’aurais pu supporter plus de deux mois la vie terrible qui m’était faite.

L’individu s’habitue à tout.

Prenez un élégant de Londres, emmenez-le dans le bouge le plus sordide et dites-lui : « Tu vivras ici, pendant deux ans ». Il vous répondra immédiatement : « Vivre ici deux ans ?… Jamais… j’aimerais mieux me