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mémoires d’un cambrioleur

Angleterre, lorsqu’un homme est condamné, il l’est presque toujours justement.

Ce qu’il y a d’horrible, dans nos institutions, c’est la répression.

Les juges condamnent un homme au « hard labour » pour vol et à la pendaison pour crime. Or, cette dernière peine est la plupart du temps moins cruelle que la première… et il vaut souvent mieux être pendu que de tourner la roue pendant cinq ans…

À l’heure où j’écris ces lignes, dans ma villa d’été de Ramsgate, face à la mer, devant un joli bureau d’acajou, je me demande si c’est bien moi, Edgar Pipe, qui suis encore là, et si je ne suis pas la réincarnation du malheureux détenu qui « pédalait » à Reading, matin et soir, en compagnie de deux cents autres camarades, sous l’œil placide du surveillant Ruggle…

Oh ! ce Ruggle !… je le revois encore et je ne puis songer à lui sans un mouvement de colère. C’était un être impitoyable qui n’avait jamais dû s’émouvoir de sa vie.

Il me rappelle ces froids inquisiteurs qui regardaient torturer les gens avec une impassibilité de statue.

Nous l’avions surnommé « Jack Ketch » et nous le haïssions tous, de ce qui nous restait de cœur et d’âme.

J’avais eu, un jour, affaire à lui. Je me sentais malade et craignais de m’évanouir en tournant la roue. Eh bien, le misérable me força à me lever et, comme je lui faisais remarquer que je n’aurais certainement pas la force de faire marcher mes jambes, il répondit, avec un affreux ricanement :

— Tant pis, alors, vous serez broyé… des individus de votre espèce, il y en a trop ici.

Je ne sais à quelle espèce appartenaient mes codétenus, mais je ne crois pas me vanter en soutenant que je valais mieux que la plupart d’entre eux, qui étaient tous des chevaux de retour, et appartenaient à cette basse pègre que les Londoniens désignent avec mépris sous le nom de « Black Rascals ».