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retiré des affaires

qu’un Edgar Pipe assez insouciant, parfois même un peu cynique, se riant de tout et plein d’une folle confiance en soi… Bientôt, il verra un Edgar Pipe déprimé, affaibli, désespéré, terrassé… un Edgar Pipe qui ne sera plus que l’ombre de lui-même, une sorte de brute aux yeux caves, aux gestes endoloris, un spectre ambulant insensible à tout, un déchet d’humanité… une épave !…

Et je suis sûr que les gens de cœur seront, malgré eux, amenés à se dire : « Un simple cambrioleur méritait-il pareil châtiment ? »

C’est généralement à l’heure où l’homme qui a souffert recommence à espérer que la lourde main de la destinée s’abat de nouveau sur lui.

Depuis huit jours que j’étais à Reading, je commençais à prendre mon mal en patience et à m’accoutumer au régime cellulaire si dur pour ceux qui, comme moi, aiment la société bruyante, quand un matin, à huit heures vingt exactement, la cloche de la prison résonna comme un glas.

À ce tintement lugubre, j’avais tressailli malgré moi, comme à l’approche d’un malheur.

Bientôt, des pas lourds retentirent dans les couloirs, une sonnette s’agita, et une affreuse voix enrouée que j’entends encore se mit à répéter sur un ton monotone :

Tread-Mill… Tread-Mill… Look out there[1].

Aussitôt, la porte de ma cellule s’ouvrit avec fracas, je fus poussé vers la trappe par des mains brutales, et je me trouvai assis sur une sellette de fer pendant que mes pieds reposaient sur une large lame de bois à demi inclinée. Instinctivement je jetai un coup d’œil dans le trou noir qui béait au-dessous de moi, et je distinguai une énorme solive munie de palettes, qui ressemblait absolument à la roue d’un moulin à eau.

— Gare à vous, me dit un gardien. C’est la première fois que vous faites du Tread-Mill… pédalez,

  1. Moulin à pédales… Moulin à pédales… Gare là !