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mémoires d’un cambrioleur

bruyant éclat de rire, elle attirait vers elle l’ignoble Manzana, et le baisait sur les lèvres.

Je dus, à cette minute, me lever d’un bond et pousser des cris épouvantables, car le guichet de ma geôle s’ouvrit avec un bruit sec, et je vis l’œil sévère d’un gardien qui me regardait fixement…

Je me laissai retomber sur mon lit et m’assoupis de nouveau, mais pour être aussitôt repris par une affreuse vision… Mr John Ellis, le bourreau de Londres, tressait délicatement une énorme corde de chanvre et me la montrait de temps à autre, en faisant le geste de se la passer autour du cou…

Le lendemain, quand sonna la cloche du réveil, j’étais brisé, moulu, anéanti. Je me levai cependant, et endossai mon horrible livrée. Comme je l’avais mise à l’envers, je la retirai pour la retourner, et une petite étiquette que je n’avais pas remarquée la veille frappa mes regards. Sur cette étiquette, je lus un nom qui me fit frissonner : « Calcraft !… »

Le précédent propriétaire de ma houppelande avait lui-même écrit son nom sur l’étroite bande de toile, et ce nom était celui d’un dangereux malfaiteur pendu récemment à Reading.

Les journaux avaient longuement parlé de cette exécution qui avait été très mouvementée, car Calcraft, qui tenait à la vie, s’était débattu avec fureur entre les mains du bourreau…

Je comprenais maintenant pourquoi le petit homme chauve avait tenu à faire remarquer que ce vêtement avait été « très peu porté », et je me souvenais de la plaisanterie macabre qu’il avait lancée en faisant allusion à M. John…

Ainsi, je portais la défroque d’un condamné à mort !

On avouera que c’était jouer de malheur… et que je ne pouvais vraiment pas conserver cette « tunique de Nessus » qui me brûlait le corps. On a beau ne pas être superstitieux, il y a quand même des coïncidences