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mémoires d’un cambrioleur

Ce fut, on peut le dire, un terrible coup de foudre que je supportai assez vaillamment.

Je passai ma jaquette, rectifiai le nœud de ma cravate, puis dis au garçon qui attendait toujours, balançant son plateau, d’un air stupide :

— Faites entrer ce gentleman !

Allan Dickson parut. Il était d’une élégance impeccable et j’admirai la belle assurance avec laquelle il pénétrait dans ma chambre. Au lieu de se jeter sur moi, et de me passer les « handcuffs » il s’assit tranquillement dans l’unique fauteuil qui garnissait la pièce, croisa sans façon ses jambes, et me dit, en enroulant autour de son index, d’un petit tournoiement rapide, le cordon de son monocle :

— Monsieur Edgar Pipe, vous êtes un habile homme… tous mes compliments !… C’est la première fois, je l’avoue, qu’un « client » me brûle ainsi la politesse…

Ce détective était vraiment un homme bien élevé… D’autres eussent dit « malfaiteur », mais lui, par un euphémisme charmant dont je lui sus gré, me qualifiait indulgemment de « client »…

J’eus une légère inclination de tête et répondis, d’un ton dégagé :

— Je crois, mon cher maître, qu’il y a entre nous un petit malentendu… et si vous le permettez… je vais, en deux mots…

— Inutile… cher monsieur… ce serait du temps perdu… Vous vous expliquerez devant le constable… lui seul a qualité pour vous entendre… moi, je dois simplement borner à vous conduire à Bow Street.

Il n’y avait qu’à se soumettre et c’est ce que je fis… J’eus bien, un moment, l’idée de sauter dans la rue par la fenêtre qui était grande ouverte, mais ma chambre se trouvait au quatrième étage et je n’eus pas le courage de tenter un pareil saut.

Je pris donc mon chapeau et ma pelisse et m’avançai vers la porte…