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mémoires d’un cambrioleur

mieux aimé jeter cent mille livres dans la Tamise que de vous donner un shilling. Édith aurait votre part, et il était plus naturel qu’il en fût ainsi.

Vers trois heures de l’après-midi, je réglai la note d’hôtel et priai notre logeuse d’envoyer chercher un taxi.

Quelques instants après, une maid vint nous avertir que le taxi était en bas, mais que le chauffeur refusait de monter pour prendre les bagages. Ils n’étaient pas bien lourds, à la vérité, mais j’hésitais à les charger sur mon dos ; on a beau ne pas être fier, il y a des cas où l’on tient à conserver sa réputation de gentleman, surtout devant une maîtresse qui vous croit fils de millionnaires.

— Trouvez-moi quelqu’un pour enlever cela, dis-je d’un ton bref… il ne manque pas de gens dans la rue qui ne demandent qu’à gagner une couronne…

La maid descendit immédiatement et, quelques instants après, elle remontait en disant :

— J’ai trouvé quelqu’un, sir.

Un pas lourd résonna dans l’escalier, puis une silhouette énorme s’encadra dans le chambranle de la porte.

— On a demandé un porteur, fit une affreuse voix grasseyante, me voilà !

Et l’homme qui venait de prononcer ces mots me regardait d’un œil narquois.

C’était Bill Sharper !

Il salua avec affectation, eut un petit rire qui ressemblait au bruit que fait une poulie mal graissée, puis s’avançant au milieu de la pièce, s’écria, au grand effarement d’Édith :

— Ah ! ah ! les amoureux, vous vous apprêtiez à nous quitter, à ce que je vois… Et les rendez-vous… les affaires importantes ?…

Voulant à tout prix éviter un scandale, je m’approchai de Bill Sharper et lui glissai à l’oreille :

— Pas un mot de plus… il y a cent livres pour vous…

— Cent livres. C’est bon à prendre, répondit la brute à haute voix, mais j’marche pas…