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mémoires d’un cambrioleur

coup de brosse et de me faire cirer. Je me rendis ensuite chez le coiffeur, puis chez le chapelier et enfin chez un vieux tailleur juif qui consentit à donner sur l’heure un coup de fer à mes vêtements. Après ces diverses opérations, dont le lecteur appréciera la nécessité, je me risquai gaillardement dans le centre de Londres.

Quelques instants après, j’étais confortablement installé dans un restaurant de Leicester Square, et pour la première fois depuis la nuit de Noël, je pouvais enfin dîner tranquille.

Mon repas terminé, j’allumai un superbe « cubanola », sirotai quelques liqueurs, puis sortis après avoir réglé ma note qui se montait à deux livres six shillings. Je me traitais bien, comme on voit, mais j’avais droit, ce me semble, à ce petit « dédommagement » après les heures sinistres que j’avais passées en compagnie de Manzana.

Dehors, sur la place, des rampes électriques fulguraient dans la nuit, au-dessus des larges baies d’un music-hall…

— Tiens, me dis-je, pourquoi pas ?

Et le cigare à la bouche, le chapeau en arrière, la figure aussi rouge que la tunique d’un horse-guard, j’entrai à l’Alhambra.

La musique jouait, à ce moment, une scie en vogue que le public reprenait en chœur au refrain, et dont les paroles étaient celles-ci, à une légère variante près :

Tout va bien, tout est bien,
Nous avons, Symphorien,
Une veine… une veine,
Une veine de chien !

Cet air et ce couplet étaient pour moi de bon augure et, en m’acheminant vers le promenoir, je fredonnais tout guilleret « Une veine… une veine… une veine de chien », quand, brusquement, je demeurai cloué sur place, bouche bée, bras ballants.

Une femme en toilette tapageuse était là, devant moi, me regardant avec effarement, et cette femme, c’était Édith… cette petite dinde d’Édith, cause de tous les