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mémoires d’un cambrioleur

et c’est presque toujours ce que l’on n’a pas prévu qui finit par s’imposer à nous en bouleversant tous nos projets.

Parfois, ce changement subit nous est funeste… Souvent aussi il nous est favorable, comme c’était le cas ici.

Un étranger s’était fait mon auxiliaire. Ah ! comme je le bénissais, ce brave capitaine du Good Star !…

Cependant, je finis, à la réflexion, par m’apercevoir que, pour s’être modifiée de façon assez satisfaisante, ma situation n’en restait pas moins dangereuse.

En effet, Manzana, qui sans être un aigle n’était pas tout à fait un imbécile, ne me lâcherait pas comme cela… et il y avait des chances pour qu’il me retrouvât, soit au Havre, notre première escale, soit en Angleterre, au moment de l’accostage du Good Star… S’il me manquait à cette dernière relâche, j’avais tout lieu de supposer qu’il ne me rejoindrait jamais.

D’ailleurs, où trouverait-il de l’argent pour payer son voyage ?

Le Good Star marchait bon train… C’était un superbe cargo, dernier modèle, qui pouvait, en pleine mer, filer ses quinze nœuds, mais en ce moment, il modérait son allure, afin de ne point soulever derrière lui trop de remous. Lorsque nous atteignîmes Villequier, un pilote monta à bord, et nous guida à travers les bancs de sable qui s’égrènent çà et là, sur la Seine, jusqu’à son embouchure.

Après avoir aidé à arrimer la cargaison dans la cale, je m’occupai de la cuisine de l’équipage. Je devais, aux termes de nos conventions avec le capitaine, remplacer momentanément le maître-coq. C’était la première fois de ma vie que je remplissais les délicates fonctions de cuisinier, et je dois dire que je ne m’en tirai pas trop mal. Au lieu de confectionner de ces plats classiques que les connaisseurs apprécient trop facilement, j’improvisai des ragoûts étranges qui échappaient à la critique, et les matelots, à quelques exceptions près, se déclarèrent satisfaits de mes salmigondis. Le maître d’équipage Cowardly