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retiré des affaires

tôt, Manzana reparaissait en compagnie du second qui, sans un mot, le conduisait à la passerelle et l’invitait à quitter le bord.

Mon associé qui ne tenait pas à partir sans moi protestait avec la dernière énergie et m’appelait d’une voix désespérée, mais je me gardai bien de me montrer. Il fut enfin expulsé un peu brutalement par le maître d’équipage qui n’était rien moins que patient et, dès qu’il fut sur le quai, deux marins, sur un ordre, retirèrent la passerelle.

Caché derrière une des cheminées du bateau, je voyais Manzana s’agiter comme un fou. De temps à autre, il mettait ses deux mains en porte-voix devant sa bouche et hurlait à tue-tête :

— Pipe !… Edgar Pipe !… Vous savez bien que nous ne pouvons pas nous quitter ainsi… Rappelez-vous nos conventions… C’est mal ce que vous faites là !… Prenez garde !…

Déjà le Good Star se mettait en marche et le bruit de ses hélices frappant l’eau à coups saccadés couvrait les appels de mon associé… Je l’apercevais toujours gesticulant sous la pluie, mais peu à peu, il diminua, et ne fut bientôt plus qu’une petite silhouette noire trépignante et grotesque.

Le hasard, on le voit, me servait à souhait une fois encore.

Depuis près de cinq jours, je cherchais le moyen de me débarrasser d’un affreux rasta sans usages qui était de plus fort compromettant et voici que le capitaine du Good Star dénouait, d’un simple geste, une situation qui menaçait de tourner au tragique.

Ah ! on a bien raison de dire que la vie n’est qu’une boîte à surprises.

Tout ce que l’homme prépare, élabore avec soin en vue de cette chose insaisissable qu’on appelle le bonheur, tout cela s’écroule en un clin d’œil, au moindre souffle,