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mémoires d’un cambrioleur

d’avoir choisi ce restaurant de cinquième ordre. Les gens qui étaient là nous regardaient avec étonnement.

Nous mangeâmes, néanmoins, sans nous presser, un brouet infect que nous arrosâmes d’un cidre sur, puis nous nous levâmes. La salle était à ce moment presque vide. Seuls, quatre ou cinq pochards attablés devant une bouteille d’eau-de-vie jouaient aux cartes en s’injuriant comme des portefaix qu’ils étaient.

Je me présentai au comptoir où trônait une grosse commère au visage couperosé et lui demandai combien je lui devais. Elle jeta un coup d’œil sur la table que nous venions de quitter, fit un rapide calcul et répondit :

— C’est six francs huit sous.

Je lui tendis le billet de cinquante francs. Elle le prit, le retourna un moment entre ses doigts, l’examina devant la fenêtre, puis s’écria soudain en me foudroyant du regard :

— Il est faux, votre billet !

Il ne nous manquait plus que cela. Que pouvions-nous faire ? discuter ? cela n’eût avancé à rien.

Je compris que le plus sage était de battre en retraite. Manzana était déjà dehors, moi, tout près de la porte. Avec la rapidité d’un zèbre poursuivi par un chasseur, je m’élançai dans la rue et pris ma course vers les quais, suivi de mon associé.

Avant que la grosse débitante fût revenue de sa surprise et eût pu lancer quelqu’un à notre poursuite, nous avions disparu parmi l’encombrement des barriques et des balles de coton arrimées sur le port. Néanmoins, comme nous ne nous sentions pas en sûreté au milieu des débardeurs et des calfats qui allaient et venaient, nous enfilâmes une rue, puis une autre, marchâmes pendant près d’une heure, et nous arrêtâmes enfin devant un jardin public.

— Entrons là, dis-je à Manzana.