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vous instruit, puis vous nous plaquez à la première occasion pour un peu plus d’argent.

— Mais monsieur le directeur, dit Lucien, pourquoi vous entêtez-vous à vouloir que mon départ soit motivé par l’offre d’un concurrent ? C’est me faire une injure gratuite que de croire que je ne sois pas capable d’agir spontanément et à la guise de ma destinée.

— Vous parlez comme un anarchiste, jeune homme ; Monsieur est peut-être partisan de l’action directe ?

— Cessez vos plaisanteries, monsieur le directeur, dit Lucien, car vous m’agacez à la fin !

Je ne suis pas anarchiste, mais si tous les Directeurs d’usines avaient votre raideur pour parler aux ouvriers il y aurait beaucoup plus de propagandistes par le fait. La voilà donc l’égalité des hommes ! s’exclama-t-il. Vouloir savoir le fond de la pensée et des desseins d’un autre homme ! Mais c’est monstrueux celà, monsieur !

— Votre attitude, dit le directeur, me démontre votre culpabilité. Vous allez passer à la caisse on va vous payer vos huit jours et vous quitterez l’usine immédiatement. Je ne veux pas de pareils que vous dans mon personnel.

— À votre guise, monsieur, répondit Lucien.

Le directeur écrivit sur une feuille l’ordre de régler les six jours à Lucien. Celui-ci la prit et se dirigea vers les bureaux où on lui paya son dû.

Ensuite il exigea qu’on lui délivrât un certificat de travail ce qu’on fit sans difficulté.

Une fois hors de l’usine il se dirigea vers Wandre. Il était à peine onze heures quand il arriva chez Jules Renkin. Julie se trouvait seule à la maison.

— Quelles nouvelles depuis hier soir ? lui demanda celle-ci.

— De fameuses, répondit Lucien. À peine mes huit jours donnés que le directeur m’a fait venir et a voulu à toute force que je lui dise chez quel concurrent j’allais entrer au Brésil ; ne pouvant, et pour cause, le satisfaire il m’a mis à la porte aussitôt.

Vraiment si j’avais besoin d’un stimulant pour être dégoûté des procédés des patrons vis-à-vis des ouvriers celui-ci en serait un fameux !

— Heureusement que tous ne sont pas les mêmes, ajouta Julie. Regardez le patron de Jules, quelle bonne pâte d’homme ! Jamais la moindre observation.

— Tant mieux pour lui, dit Lucien. Au fond peut-être que mon directeur n’est pas un méchant homme ; mais il a été agacé de ne pas savoir ce que je voulais faire en quittant l’usine. Ayant appris que je partais pour un concurrent il a voulu savoir à toute force qui c’était.