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CHAPITRE I




P armi la foule qui encombrait le quai de la Batte à Liège on pouvait remarquer un matin de juillet deux jeunes gens qui n’avaient l’air de ne s’intéresser guère aux marchandises hétéroclites qui encombraient les trottoirs et une partie de la voie publique.

De temps en temps ils s’arrêtaient pour regarder un oiseau au plumage chatoyant ou au chant strident.

Ensuite ils reprenaient leur promenade monotone. Tout à coup l’un d’eux, le plus jeune, s’arrêta net et passant son bras en dessous de celui de son compagnon il lui dit : Écoute, Jules, cette vie ne peut plus continuer ainsi ! J’en suis absolument dégoûté !

— Que ferais-tu d’autre ? demanda son ami.

— Mais aller au loin, répondit son compagnon, voir des pays inconnus, forcer le destin, quitte à laisser mes os dans l’aventure ou en revenir riche.

— C’est vite dit, répondit le plus vieux, mais pas si vite fait.

— Et pourquoi pas ? dit l’autre. Depuis des mois je me prépare à tenter le coup. J’ai suivi des cours du soir d’anglais et d’espagnol, j’ai perfectionné ma façon de travail au point de pouvoir dire sans forfanterie que je suis le plus habile monteur-électricien des Usines Électriques.

— Dans ces conditions-là, dit Jules, pourquoi n’essaies-tu pas de te créer ici-même un avenir ? Tu peux devenir contre-maître, directeur, patron même. Rappelle-toi Gramme, notre compatriote et ses débuts modestes. Crois-moi, Lucien, il y a place pour toi comme pour d’autres. Non, répondit ce dernier, car nous sommes cent et plus pour une place. Ce n’est pas toujours le plus capable qui l’emporte, mais le plus chançard ou le plus pistonné. Que veux-tu que je fasse, moi, sans parents, sans appui ?

— Pourquoi n’essaies-tu pas de te marier, de te créer un intérieur ? demanda Jules. Regarde-moi. Je suis l’homme le plus heureux de la terre !