Page:Gagneur - Trois soeurs rivales.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Vous verrez, mon père, ajouta-t-elle, que jusqu’ici du moins notre liaison a été honnête.

M. de Charassin, après avoir jeté sur ces lettres un rapide coup-d’œil, les froissa dans ses mains avec une colère terrible.

— Sandieu ! s’écria-t-il, honnête, dites-vous, une liaison entre une Charassin et un manant ! vous êtes folle, ma fille. Et, faisant d’effroyables imprécations, il prit sa pipe et la brisa contre terre, ce qui devait être pour lui le geste d’une suprême indignation.

L’intrépide jeune fille demeurait immobile, accusant par sa contenance une inflexible fermeté.

— Mon père, répondit-elle sentencieusement, je suis fâchée de vous le dire, mais vous ignorez complètement l’époque dans laquelle nous vivons. Le dix-neuvième siècle n’est plus le quinzième ; il n’y a plus aujourd’hui ni manants ni seigneurs ; les différences de castes sont abolies, et la noblesse avec ses privilèges n’existe plus guère, je crois, que dans votre imagination.

À ce discours, la colère du baron monta à son paroxysme.

— Ô mes ancêtres, s’écria-t-il, vous l’entendez, et c’est ma fille qui parle ! La noblesse n’existe plus que dans mon imagination ! Ainsi, mademoiselle, de par vous, mes douze quartiers de noblesse et nos titres concédés par Charles de Bourgogne sont autant de chimères ! Malédiction ! malédiction sur moi ! J’ai commis une grande faute, je me suis mésallié ; votre mère était d’une race de vilains. Je l’épousai pendant la guerre d’Espagne ; entraîné par une folle passion, j’oubliai mon rang et j’élevai jusqu’à moi une femme sans nom et sans aïeux. Ah ! le sang ne ment pas, vous ne lui res-