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lions de bras. Pour mon compte, depuis mon fatal rêve, je lis, j’étudie, je cherche…

— Toi !… toi !…

— Positivement. Moi, Prudence, l’ancien viveur, léger, insouciant, je suis devenu sage. Je pense qu’au lieu de toujours écarter ce terrible problème du paupérisme, qui se dresse aujourd’hui si menaçant, il faut l’aborder résolument, pousser droit au monstre, lui arracher ses voiles. Nous, bourgeois, nous avons cru jusqu’à ce jour que la République, c’était là le vrai, le redoutable ennemi qu’il fallait combattre ; que ce gouvernement, par cela même qu’il favorisait le développement des libertés, était nécessairement fatal à l’ordre, et que la monarchie pouvait seule garantir cet ordre. Cependant, il en est des forces morales comme des forces matérielles : plus on les refoule, plus l’explosion est terrible. Vois ce qu’ont produit ces vingt années de despotisme impérial, ajouta-t-il en lui désignant les ruines. Une sage République, au contraire, eût peut-être déjà résolu, par la liberté de discussion et d’association, ces grandes questions sociales qu’on a beau nier, qui existent, et qui menaceront l’ordre et la propriété tant qu’on n’en aura pas trouvé et appliqué la solution.

— Ta, ta, ta ! sornettes débitées par les mécontents, les agitateurs !

— Suis-je rien de tout cela ? Non, je ne suis qu’un peureux comme toi. Seulement, il y a entre nous cette différence : c’est que la peur t’aveugle, tandis qu’elle m’a ouvert les yeux.