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modèle, j’aime mes ouvriers, je m’intéresse à leur sort.

— En tout cas, c’est un amour fort platonique, car tu ne vas jamais visiter ton usine.

— Certes, c’est une affection de raison. Je me dis : voilà de pauvres diables qui contribuent à mon opulence ; je leur dois en retour de bons procédés. Je leur ai fait bâtir des habitations saines et commodes.

— Que, par parenthèse, tu leur loues assez cher.

— N’ai-je pas fondé une cantine, une société de secours mutuels et de prévoyance ?…

— Oui, dans laquelle tu leur dénies toute direction.

— Leur ai-je jamais refusé des avances, quand ce sont de bons ouvriers ?

— C’est-à-dire quand tu n’as rien à perdre.

— Et voudrais-tu que j’y perdisse ?

— Non sans doute, mon ami ; seulement je cherche à expliquer l’ingratitude de tes ouvriers.

— Oui, oui, ingratitude ; je maintiens le mot.

— Et ce sera toujours ainsi fatalement tant qu’on n’aura pas trouvé le moyen de faire cesser entre les capitalistes et les travailleurs la divergence ou, pour mieux dire, l’antagonisme des intérêts. Là est le problème que devraient chercher à résoudre, toute affaire cessante, nos hommes d’État et tous les esprits éclairés ; car il n’est si grand danger que celui de l’hydre aux millions de gueules, aux mil-