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On eût dit les sons éclatants et rauques à la fois que le lion d’Amérique jette aux solitudes.

Tous les bruits lointains, la voix même des oiseaux de marais, cessèrent de se faire entendre.

Le trappeur sourit de l’étonnement des cavaliers, puis il s’arrêta.

« Nous sommes au gué, dit-il ; voilà la Fourche-Rouge. »

Ils étaient arrivés à l’angle aigu que forment les deux bras de la rivière en se séparant. À la gauche des voyageurs qui longeaient le fleuve, les herbes, plus hautes et plus drues, leur cachaient la plaine ; à leur droite, un massif de saules s’élevait sur la rive opposée.

« La rivière me paraît bien profonde pour être guéable en cet endroit, observa don Augustin.

– Ses eaux sont troubles, et l’on ne voit pas le fond, répondit le trappeur avec assurance. Comme il ne serait pas juste, reprit-il, que, pour être agréable à Vos Seigneuries, je fusse obligé d’entrer dans l’eau jusqu’à mi-jambe, je demanderai à l’un de vous la permission de monter en croupe, et je vous montrerai le chemin, quoique un trappeur soit un assez triste cavalier. »

Francisco proposa de prendre le guide derrière lui. L’Américain accepta et se hissa, non sans de grands efforts, sur la croupe du cheval, et quand il fut assis :

« Poussez votre bête droit devant vous, » dit-il.

Mais, soit que le cheval eût peur, soit que les talons du trappeur chatouillassent désagréablement ses flancs, il refusa d’avancer en regimbant. Alors le trappeur passa son bras gauche sous celui de Francisco, et il prit la bride en main. L’animal continua de refuser.

« Mettez votre monture à côté de la nôtre, dit l’Américain à un des autres domestiques ; en marchant de front, les deux bêtes s’encourageront mutuellement. »

Le domestique obéit, et, comme l’avait assuré le trappeur, les deux chevaux entrèrent dans la rivière.