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Sang-Mêlé était de bonne humeur ce jour-là, et il ne fit que sourire des injures et de la sombre prédiction de son père.

« Oui, disait ce dernier, quand le cheval et le cerf sont amoureux, la prudence les abandonne.

– Ne pourriez-vous pas comparer votre fils à quelque animal plus noble ? dit le métis avec un hautain sourire.

– Qu’importe ? Nous avons deux fois retrouvé les traces du Comanche près des nôtres, et, au lieu de suivre les siennes à notre tour, l’impatience de vous emparer d’un joujou, de cette petite colombe blanche, vous fait négliger toute espèce de précaution. C’est moi qui vous le dis, ceux qui dans le désert ne suivent pas les avis qu’ils trouvent imprimés sur le sol n’arrivent jamais à la vieillesse.

– Témoin tant de trappeurs, de voyageurs et d’Indiens qui n’ont pas vu ou ont dédaigné vos traces. Mais silence à ce sujet, vieillard ; tout ce qui aura pour résultat de me blâmer de chercher à satisfaire au plus vite la soif d’amour que m’inspire ce nuage blanc, ce flocon de neige, ce nénufar du lac, sonne mal à mon oreille, sachez-le. »

En disant ces mots, les yeux du métis jetaient des flammes comme ceux du tigre, quand la brise lui apporte sur ses ailes chaudes les mystérieuses émanations de la tigresse.

Le père se tut, et tous deux continuèrent à ramer en silence.

Une des îles dont le cours de la rivière était parsemé s’allongeait au loin sur l’eau, comme un oiseau marin endormi.

C’était celle qu’on appelait l’Île-aux-Buffles.

À quelque distance des deux pirates, et caché par les vertes ondulations de la rive droite, un homme marchait seul, de ce pas élastique et nerveux qui n’appartient qu’à