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sur la fosse de don Antonio encore fraîche, les empreintes profondes d’une lutte acharnée, quand il vit les remparts de pierres détruits et dispersés sur le sol, il poussa un cri terrible : Fabian n’était plus sur la pyramide.

En ce moment, l’orage éclatait dans toute sa violence. Des éclairs semblables à des lames de feu sillonnaient la plaine de toutes parts. Le tonnerre grondait avec fracas et faisait rugir les échos. La nature en désordre semblait frémir sous le choc de la tempête. Bientôt des flancs d’une masse épaisse de nuages noirs jaillirent des torrents de pluie, comme si toutes les cataractes du ciel se fussent ouvertes à la fois.

Bois-Rosé appelait son enfant d’une voix tantôt tonnante et tantôt brisée, tout en jetant à travers l’épais rideau de pluie qui obscurcissait sa vue des yeux hagards sur tous les points de la plate-forme : elle était déserte :

« Baissez-vous, Bois-Rosé, baissez-vous ! cria Pepe, qui achevait à son tour de gravir la pyramide.

Le Canadien ne l’entendit pas, et cependant le métis, debout sur les rochers en face d’eux, venait tout à coup de se dresser comme un des esprits du mal qu’une des convulsions des éléments aurait fait surgir des entrailles de la terre.

– Mais baissez-vous, pour Dieu ! répéta Pepe ; êtes-vous donc las de la vie ? »

Sans se douter de la présence de Sang-Mêlé, dont la carabine était dirigée contre lui, Bois-Rosé se penchait en cherchant de l’œil son enfant au pied de la pyramide.

Le cadavre même de l’Indien n’y était plus.

En relevant la tête, le Canadien aperçut le métis pour la première fois. À la vue de l’homme qu’il considérait à bon droit comme l’auteur de tous les malheurs qui venaient de le frapper, le coureur des bois sentit un flot de haine remonter jusqu’à son cœur ; mais il sentit aussi que le sort de Fabian était entre les mains de cet homme, et il imposa silence à la fureur qui grondait dans son sein.