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brise plus fraîche faisait-elle entendre un léger murmure dans les taillis de bois de fer.

« Et où me menez-vous ainsi ? demanda Tiburcio après un assez long silence.

— À la Poza, où j’ai quelques amis qui m’attendent et où nous passerons la nuit ; puis de là, si cela vous convient, à l’hacienda del Venado.

— À l’hacienda del Venado ! reprit Tiburcio ; j’y vais aussi. »

Pendant le jour, Cuchillo eût pu voir le jeune homme rougir en disant ces mots ; car une affaire de cœur l’attirait malgré lui vers la fille de don Augustin.

« Puis-je, demanda Cuchillo à son jeune compagnon, savoir quel motif vous mène à l’hacienda ? »

Tiburcio fut interdit à cette question bien simple ; mais on a pu s’apercevoir que Cuchillo n’était pas le confident qu’il eût choisi.

« Je suis sans ressources, répondit-il en hésitant, et je vais demander à don Augustin Pena de m’accepter au nombre de ses vaqueros (vachers).

— C’est un triste métier que vous allez faire là, mon garçon. Exposer sa vie tous les jours pour un modique salaire, veiller la nuit, courir le jour dans les halliers ou dans les plaines, à l’ardeur du soleil, à la fraîcheur des nuits : tel est le sort du vaquero.

— Que puis-je faire ? dit Tiburcio ; n’est-ce pas là la vie à laquelle j’ai été accoutumé ? n’ai-je pas toujours vécu dans la solitude et les privations ? Ces calzoneras usées et cette veste déchirée ne sont-elles pas ma seule fortune ? Je n’ai même pas un cheval qui m’appartienne. Ne vaut-il pas mieux être vaquero que mendiant ?

— Il ne sait rien, pensa Cuchillo ; sans cela songerait-il à prendre un emploi de cette nature ? »

Puis tout haut :

« Eh bien ! dit-il, j’ai quelque chose de mieux à vous proposer. Vous êtes en effet un véritable enfant perdu ; ex-