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tenait table ouverte, jouait gros jeu, prêtait de l’argent sans penser jamais à le réclamer, et personne ne pouvait dire à quelle source cachée il puisait pour faire face à cette vie de grand seigneur.

De temps à autre seulement, don Estévan Arechiza faisait un court voyage, d’une semaine au plus ; puis il revenait sans qu’on sût où il avait été, car ses domestiques ne laissaient rien transpirer des actions de leur maître.

Quoi qu’il en soit, les grandes manières de l’Espagnol, sa générosité et ses largesses n’avaient pas tardé à lui procurer dans Arispe une rapide et puissante influence. Il en profitait pour organiser une expédition lointaine, dans un endroit où, pour ainsi dire, nul blanc n’avait jusqu’alors pénétré.

Comme don Estévan perdait presque toujours au jeu, qu’il oubliait constamment, nous l’avons dit, de réclamer l’argent qu’il avait prêté, et que, par conséquent, on ne pouvait pas supposer qu’il vécût du jeu ou d’emprunt, on soupçonnait qu’il possédait non loin d’Arispe quelque riche placer (gîte) d’or, et qu’il en connaissait de plus riches encore au fond du pays des Indiens-Apaches.

Les voyages périodiques du seigneur Arechiza confirmaient cette première supposition ; quant à la seconde, le hasard ne devait pas tarder à en faire une vérité. Nous dirons plus loin comment.

Don Estévan eut donc moins de peine qu’aucun autre, grâce à l’influence qu’il exerçait, à trouver des compagnons d’aventures. Déjà, disait-on, quatre-vingts hommes déterminés se rendaient des différents points de la Sonora au préside de Tubac, sur la frontière indienne, qu’Arechiza leur avait indiqué comme rendez-vous de l’expédition et, à en croire le bruit général, le jour approchait où don Estévan lui-même devait partir d’Arispe pour se mettre à leur tête.

Ce bruit, vague d’abord, devint bientôt une certitude ; car, à l’un des dîners qu’il donnait, l’Espagnol annonça à