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rivière un regard de haine désappointée, il allongea le cou du côté opposé et demeura immobile.

« Qu’entend le chef dont les oreilles sont si fines ? demanda le coureur.

— L’Oiseau-Noir entend à présent le silence, la voix du sang ne bourdonne plus à son oreille.

— Est-ce là tout ce qu’il entend ? » répliqua le messager.

Le chef indien continuait sa comédie diplomatique. Il ne répondit pas, mais sa physionomie prit une expression riante, comme si une mélodie lointaine frappait ses sens.

« Mes oreilles, répliqua-t-il, ne sont plus sourdes. La main du Mauvais-Esprit ne s’appuie plus sur elles. J’entends la voix des guerriers qui m’appellent pour venger l’honneur de ma nation ; j’entends le pétillement du feu du conseil. Grâces soient rendues au Bon-Esprit protecteur des peuplades apaches. Marchons. »

L’Indien tourna la bride de son cheval vers l’endroit où, d’après le rapport du coureur, les guerriers assemblés attendaient sa réponse.

Le soleil versait des flots de lumière sur le désert quand l’Oiseau-Noir et sa troupe parvinrent à cette oasis de gommiers où nous avons vu les Indiens occupés à délibérer un jour avant. Après la défaite qu’ils avaient essuyée et la poursuite nocturne dont ils avaient été l’objet, ils avaient rallumé le feu de leur conseil dans ce même endroit.

À la vue du chef redouté, dont le retour était si vivement attendu, des cris d’allégresse éclatèrent de toutes parts. L’ambitieux Indien accueillit avec dignité ces acclamations comme un hommage qu’il méritait ; puis s’adressant à tous les guerriers réunis :

« L’esprit de l’Oiseau-Noir, dit-il, sera seul avec ses guerriers, car son corps est malade et son bras affaibli. »