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funestes aux leurs qu’aux Apaches, les tirailleurs étaient revenus se mêler aux combattants.

Dans l’angle du retranchement où ils se tenaient, don Estévan et Cuchillo n’avaient pas à soutenir une attaque moins furieuse. Le premier, tout en songeant à sa défense personnelle, car, en pareil cas, un chef doit être soldat, jetait un coup d’œil sur toute la ligne de défense du camp ; mais ce n’était qu’à grand’peine qu’il pouvait faire entendre, au milieu des hurlements qui assourdissaient les combattants, les avis qu’il transmettait et les ordres qu’il donnait. Plus d’une fois, un léger fusil à deux canons, de fabrique anglaise, qu’il chargeait et déchargeait tour à tour avec autant de rapidité que d’adresse, écarta de l’un des siens le couteau, la hache ou le casse-tête qui le menaçait. Les hourras qui répondaient aux rugissements des Apaches accueillaient la sûreté de son coup d’œil. Il était en un mot ce que les aventuriers l’avaient vu depuis le commencement de cette dangereuse campagne, le chef qui pensait à tout dans le commandement et le soldat que rien n’effrayait dans l’action.

Accompagné de son cheval encore tout sellé, et qui suivait ses mouvements avec l’intelligence d’un épagneul, Cuchillo se tenait derrière son chef, et le plus à l’écart possible, avec moins de bravoure que de prudence. Il semblait suivre d’un œil soucieux les chances de l’attaque et de la défense, quand tout à coup il chancela sur ses jambes, recula comme frappé d’une blessure mortelle et alla tomber lourdement à quelque distance des chariots. Cet incident passa presque inaperçu au milieu de la mêlée, chacun avait assez de danger à écarter de sa personne pour ne songer qu’à soi.

« C’est un lâche de moins, » se contenta de dire froidement Arechiza qui avait suivi les manœuvres prudentes de Cuchillo, tandis que son cheval, accouru près de lui, ouvrait, à l’aspect de son maître, des naseaux épouvantés.