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ment que d’habitude vers la demeure de son chef. Le capitaine était fort préoccupé quand il entra, et n’entendit pas la porte s’ouvrir.

Le miquelet semblait dormir en roulant une cigarette entre ses doigts.

« Me voici, mon capitaine, dit Pepe en saluant respectueusement don Lucas.

— Eh bien ! mon garçon, commença le capitaine d’une voix débonnaire, les temps sont bien durs, n’est-ce pas ?

— J’en ai entendu dire quelque chose.

— Je conçois, dit don Lucas en riant ; la misère des temps ne t’atteint qu’à moitié, tu dors toujours.

— Quand je dors, je n’ai pas faim, reprit Pepe en étouffant un bâillement. Puis je rêve que le gouvernement me paye.

— Alors tu n’es son créancier que quatre heures par jour. Mais, mon garçon, ce n’est pas de cela qu’il s’agit : je veux te donner ce soir une preuve de confiance.

— Ah ! dit Pepe.

— Et une preuve d’affection. Le gouvernement a l’œil ouvert sur nous tous : ta réputation d’apathie commence à se propager, et tu pourrais être destitué comme un employé inutile. Ce serait bien triste pour toi d’être sans place.

— Affreux ! mon capitaine, reprit Pepe avec une bonhomie parfaite ; car si je meurs de faim avec ma place, je ne sais ce qui arriverait si je n’en avais plus.

— J’ai résolu, pour éviter ce malheur, de fournir à ceux qui pourraient calomnier ton caractère une preuve de la confiance que je mets en toi, en te donnant cette nuit le poste de la Ensenada. »

Pepe ouvrit involontairement les yeux presque tout entiers.

« Cela te surprend ? dit don Lucas.

— Non, » reprit Pepe.

Le capitaine ne put cacher à son subalterne un léger tressaillement.