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avaient bu de copieuses rasades, ils faisaient des efforts prodigieux pour ne pas chanceler sur leur selle.

« Suis-je droit sur mes arçons ? dit Oroche à voix basse et d’un ton inquiet à Baraja.

— Vous êtes droit comme une tige de bambou, et, sauf que j’ai lieu de m’étonner qu’il y ait dans le monde deux hommes possesseurs d’un manteau pareil au vôtre… car, vive Dieu ! vous êtes deux sur votre cheval !…

— Le croyez-vous ? demanda le gambusino aux longs cheveux et au manteau en lanières, sérieusement alarmé de la double charge de son cheval.

— Si je le crois ? je puis vous le jurer.

— Enfin, sommes-nous tous deux fermes en selle ?

— Comme deux rocs, » répondit Baraja pour flatter son ami.

Grâce à leurs efforts, don Estévan, quand il promena ses regards sur la cavalcade prête à se mettre en marche, ne vit rien d’inusité dans la contenance des deux drôles. Cuchillo seul jetait de leur côté un œil inquiet. Cependant leur attitude brave le rassura.

Quand don Estévan mit le pied à l’étrier, Cuchillo poussa son cheval près de lui, et montrant d’un geste d’intelligence Oroche et Baraja :

« Si Votre Seigneurie, dit-il, veut, en ma qualité de guide, me laisser donner l’ordre de la marche, je suis prêt à entrer de suite en fonctions.

— Faites, répondit à haute voix l’Espagnol en se mettant en selle à son tour.

— Eh bien ! dit Cuchillo, les deux domestiques vont prendre les devants, et nous attendre au pont du Salto de Agua, de l’autre côté du torrent. »

Les deux domestiques obéirent en silence, et, quand la cavalcade sortit de l’enceinte de pieux de l’hacienda, ils s’éloignèrent.

Cuchillo resta près de don Estévan.