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les eaux du Missouri. C’était bien là le désert tel que je l’avais rêvé. Au delà de la rivière, de vertes savanes ondulaient à perte de vue. À mes pieds, un petit lac, séparé du San-Pedro par une étroite langue de terrain, et qui jadis avait dû faire partie de la rivière, étendait ses eaux bourbeuses. Sur les larges feuilles des plantes aquatiques, des serpents d’eau faisaient reluire au soleil leurs corps visqueux, entrelacés en hideux réseaux. Au-dessus du lac voltigeaient des essaims de grues attirées par ces nombreux reptiles. De longues caravanes de bisons traversaient la plaine silencieuse. D’autres, disséminés par groupes ou par couples, paissaient l’herbe épaisse, ou, couchés sur la pente des collines, promenaient un regard tranquille sur leurs vastes domaines.

« Plus loin, ces sauvages animaux se livraient de rudes combats ; leurs sourds mugissements arrivaient à mes oreilles comme le murmure lointain de la mer, et, comme s’il eût fallu que, même dans le désert, l’homme révélât sa présence, un parti de chasseurs, d’une tribu d’indiens amis, descendait en ce moment le cours du San-Pedro sur des radeaux formés de larges bottes de roseaux soutenues par des calebasses vides. Une secua de mules chargées de lingots d’argent et escortées de leurs guides se dessinait en une longue file à l’horizon. Je restai longtemps ravi devant ce spectacle solennel, prêtant l’oreille à l’harmonie mélancolique de la clochette des mules et aux cadences indiennes, qui troublaient, en mourant graduellement, le silence des solitudes. »

Citer de tels tableaux, c’est les louer suffisamment. Ils placent leur auteur au nombre des meilleurs écrivains d’une langue. Nous savons bien que Ferry, mort depuis longtemps, n’occupe pas, tant s’en faut, la place qui lui est due dans notre littéra-