Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son manteau à jour, semblait, en véritable artiste, s’élever sur les ailes de la musique au-dessus des considérations vulgaires de la toilette et du confortable. Une bouteille de mescal[1] à moitié vide complétait pour les deux joueurs les douceurs du souper auquel ils avaient fait largement honneur. Malgré ses rasades fréquentes, Cuchillo semblait en proie aux passions les plus violentes, et ses sourcils contractés donnaient à sa physionomie un air plus sinistre encore que d’habitude.

Il taillait en ce moment avec un soin tout particulier. Il ne jouait pas de bonheur avec son ami Baraja, car une partie de l’or qu’il avait reçu de don Estévan était passée du côté de son adversaire, et le bandit espérait que l’attention qu’il apportait au maniement des cartes ferait changer sa mauvaise veine.

Tout à coup, en découvrant la carte qui emportait la somme qu’il avait jouée, Cuchillo jeta violemment tout le jeu sur la table.

« Que le diable emporte votre musique ! s’écria-t-il d’un ton de fureur, et moi aussi, de m’être exposé comme un sot à gagner à crédit et à perdre au comptant !

— Vous m’offensez, répliqua dignement Baraja, ma parole a toujours valu du comptant.

— Surtout quand vous ne perdiez pas…

— Ce que vous dites là n’est pas délicat, interrompit Baraja en ramassant les cartes. Fi donc ! seigneur Cuchillo, vous vous fâchez pour si peu ! Moi, j’ai perdu la moitié d’une hacienda, après m’être vu voler l’autre, et je n’ai rien dit.

— Eh bien ! moi, je dis ce qui me plaît, seigneur Baraja, et je le dis haut, reprit Cuchillo en portant la main à son couteau.

— Oui, vous dites des mots qui font mourir vos amis :

  1. Liqueur forte, extraite de la racine cuite au feux et distillée d’une variété d’aloès.