moins encore à son imagination qu’à sa sensibilité profonde et à la vivacité de ses impressions. Du premier coup, au contraire, Ferry a conduit, comme en se jouant, une intrigue dont il embrouille et démêle les fils avec la dextérité d’un vieux romancier. Il a débuté comme voudraient finir bien des maîtres.
Trois types principaux se développent dans le Coureur des bois : l’Indien avec ses ruses inépuisables, ses mœurs demeurées intactes, tour à tour perfide, cruel, admirable d’humanité et de dévouement ; le chercheur d’or que Ferry a mis aussi en scène dans les Gambusinos, et par-dessus tout le chasseur vivant de liberté comme nous vivons d’air, ayant soif du désert, amoureux de l’espace, et dont la volonté n’a pas plus de bornes que la prairie et la forêt qu’il parcourt sans cesse. Ces types se croisent, s’observent, luttent dans un récit qui se déroule en magnifiques anneaux au milieu des déserts de la Sonora, et qui est certainement un des récits les plus dramatiques que nous connaissions. L’auteur a tellement vécu lui-même de la vie agitée et périlleuse qu’il raconte, qu’il a mis plus que personne dans cette œuvre la couleur, la passion du témoin oculaire. L’émotion y est communicative. En lisant ces pages splendides de vérité, on échappe un instant aux mesquins intérêts de l’existence civilisée pour partager les émotions bien autrement