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sénateur présomptueux sont autant d’ennemis pour moi ! tous sont abrités sous ce toit ; pourquoi ces hommes, qui lui préfèrent la voûte des arbres, ne seraient-ils pas plutôt des amis ? »

Cependant le temps s’avançait ; Tiburcio prit son zarape dont il se couvrit, mit son couteau à sa ceinture, c’était la seule arme qu’il possédât, et se disposa à sortir sans bruit, livré à la plus cruelle agitation comme un homme dont le sort va se décider dans quelques minutes. Avant de quitter sa chambre, il jeta encore un coup d’œil sur la clarté qui brillait toujours à la même place.

Pendant que Tiburcio, l’œil aux aguets, le pied prudent, l’oreille aux écoutes, traversait doucement la cour silencieuse et longeait le bâtiment principal derrière lequel se trouvait la chambre de doña Rosarita, d’autres scènes se passaient ailleurs, dont il est nécessaire de rendre compte.

Depuis son arrivée à l’hacienda del Venado, don Estévan, en présence de tous les hôtes qu’elle avait reçus, avait à peine eu le temps, dans un court entretien avec l’hacendero, de lui dire brièvement le résultat de son traité avec Cuchillo. Au mot de placer d’or, don Augustin avait fait un geste de désappointement ; mais, dans l’impossibilité d’en dire davantage, il avait prié l’Espagnol de remettre au soir même la suite de leurs confidences.

Arechiza avait donc attendu que chacun, au sortir du souper, eût gagné la chambre qui lui était destinée, puis il conduisit le sénateur dans l’embrasure d’une croisée, et, lui montrant la voûte du ciel étincelant d’étoiles :

« Vous voyez, lui dit-il, le Chariot qui déjà s’incline vers l’orient. Vous voyez à côté de cette constellation brillante cette étoile qui rayonne à peine, perdue dans le brouillard de l’éloignement. C’est l’emblème de votre étoile, pâle à présent, et qui demain peut-être se lèvera plus radieuse qu’aucune de celles qui composent le lumineux cortège du Chariot.