Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Rien n’est perdu, s’écria-t-elle. C’est dans cette grande boîte-là, sur la table, que j’ai trouvé, que j’ai pris, — elle n’osa pas prononcer le mot : poison, — la poudre que j’ai versée dans la tasse. Tu sais quelle est cette poudre, tu dois connaître le remède…

Marie-Anne secoua tristement la tête.

— Rien ne peut plus me sauver, murmura-t-elle d’une voix à peine distincte, et entrecoupée de hoquets sinistres ; mais je ne me plains pas. Qui sait de quelles chutes la mort me préserve peut-être. Je ne regrette pas la vie. J’ai tant souffert depuis un an, j’ai subi tant d’humiliations, j’ai tant pleuré… La fatalité était sur moi !…

Elle eut, en ce moment, cet éclair de seconde vue qui illumine les agonisants. Le sens des événements éclata. Elle comprit qu’elle-même avait fait sa destinée, et qu’en acceptant le rôle de perfidie et de mensonge composé par son père, elle avait rendu possibles et comme préparé les mensonges, les perfidies, les crimes, les erreurs et les trompeuses apparences dont enfin elle était victime.

Sa parole allait s’éteignant comme celle d’une personne qui s’assoupit, ses atroces douleurs faisaient trêve, tout s’apaisait en elle après tant d’agitations ; elle s’endormait, pour ainsi dire, dans les bras de la mort…

Elle s’abandonnait, quand une pensée jaillit de ses ténèbres, si terrible qu’elle lui arracha un cri :

— Mon enfant !…

Rassemblant en un effort surhumain tout ce que le poison lui laissait de volonté, d’énergie et de forces, elle s’était redressée sur son fauteuil, le visage contracté par une indicible angoisse…

— Blanche !… prononça-t-elle d’un accent bref dont on l’eût crue incapable, écoute-moi : c’est le secret de ma vie qu’il faut que je te dise… personne ne le soupçonne… J’ai un fils de Maurice… Hélas ! voici des mois que Maurice a disparu… S’il était mort, que deviendrait notre fils !… Blanche, tu vas me jurer, toi qui me tues, que tu me remplaceras près de mon enfant…