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Pour rien au monde, puisqu’elle était découverte, elle n’eût consenti à nier.

Elle s’avança résolument, et d’une voix ferme :

— Eh bien, oui !… dit-elle ; c’est moi qui prends ma revanche.

Et tutoyant, comme autrefois, son ancienne amie :

— Penses-tu donc que je n’ai pas souffert le soir où tu as envoyé ton frère m’arracher mon mari, que je n’ai plus revu !…

— Votre mari !… moi…. Je ne vous comprends pas.

— Oserais-tu donc soutenir que tu n’es pas la maîtresse de Martial…

— Le marquis de Sairmeuse !… je l’ai revu hier pour la première fois, depuis l’évasion du baron d’Escorval…

L’effort qu’elle avait fait pour se dresser, pour se tenir debout, pour parler, l’avait épuisée ; elle retomba sur le fauteuil.

Mais Mme Blanche devait être impitoyable.

— Vraiment !… fit-elle, tu n’as pas revu Martial… Dis-moi donc alors qui t’a donné ces beaux meubles, ces tentures de soie, ces tapis, tout ce luxe qui t’entoure ?…

— Chanlouineau.

Mme Blanche haussa les épaules.

— Soit, fit-elle avec un sourire ironique ; mais est-ce aussi Chanlouineau que tu attends ce soir ?… Est-ce pour Chanlouineau que tu as mis chauffer ces pantoufles brodées et que tu dressais la table ?… Est-ce Chanlouineau qui t’a envoyé des vêtements par un paysan nommé Poignot ?… Tu vois bien que je sais tout…

Et comme sa victime se taisait :

— Qui donc attends-tu ? insista-t-elle ; voyons, réponds !…

— Je ne puis…

— Tu vois donc bien, malheureuse, que c’est ton amant, mon mari, Martial !…

Marie-Anne réfléchissait autant que le lui permettaient ses souffrances intolérables et le trouble de son intelligence.