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tomber malade, qu’il ne sortait plus de chez lui et que Mme Blanche ne quittait pas son chevet.

Une autre fois, le père Poignot raconta en revenant de Montaignac que le duc de Sairmeuse était allé passer huit jours à Paris, qu’il était de retour avec une décoration de plus, signe évident de faveur, et qu’il avait fait à tous les conjurés condamnés à la prison la remise de leur peine.

Douter n’était pas possible, car le journal de Montaignac mentionnait le surlendemain toutes ces circonstances.

L’abbé Midon n’en revenait pas.

— Voilà qui prouve bien l’inanité des prévisions humaines, disait-il à Mme d’Escorval, ce qui devait nous perdre nous sauvera.

C’est que ce changement si heureux, ce brusque revirement, l’abbé Midon l’attribuait uniquement à la rupture du marquis de Courtomieu et du duc de Sairmeuse.

Si grande que fût sa perspicacité, il fut comme tout le monde dupe des apparences.

Il pensait ce qui se disait tout haut dans le pays, ce que les officiers à demi-solde de Montaignac eux-mêmes répétaient :

— Décidément, ce duc de Sairmeuse vaut mieux que sa réputation, et s’il s’est montré implacable c’est qu’il était conseillé par l’odieux marquis de Courtomieu.

Seule, Marie-Anne soupçonnait la vérité.

Il lui semblait qu’elle reconnaissait le génie de Martial, cet esprit souple, se plaisant aux coups de théâtre, toujours épris de l’impossible.

Un secret pressentiment lui disait que c’était lui qui, secouant son apathie habituelle, dirigeait avec une habileté souveraine les événements et usait et abusait de son ascendant sur l’esprit du duc de Sairmeuse.

— Et c’est pour toi, Marie-Anne, lui disait une voix au dedans d’elle-même, c’est pour toi que Martial agit ainsi !… Qu’importent à cet insoucieux égoïste tous ces