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rompit le curé, on ne nous a rien volé… La Bertrande est venue ce matin me demander quelques secours au nom de sa fille qui se meurt ; je n’avais pas d’argent, je lui ai donné cette volaille dont elle fera un bon bouillon…

Cette explication changea en fureur la consternation de Bibiane.

Elle se campa au milieu du salon, un poing sur la hanche, gesticulant de l’autre main.

— Voilà pourtant comme il est, s’écria-t-elle en montrant son maître, moins raisonnable qu’un enfant, et sans plus de défense qu’un innocent… Il n’y a pas de paysanne bête qui ne lui fasse accroire tout ce qu’elle veut… Un bon gros mensonge arrosé de larmes, et on a de lui tout ce qu’on veut… On lui tire ainsi jusqu’aux souliers qu’il a aux pieds, jusqu’au pain qu’il porte à sa bouche. La fille à la Bertrande, messieurs, une malade comme vous et moi !…

— Assez !… disait sévèrement le prêtre, assez !…

Puis, sachant par expérience que sa voix n’avait pas le pouvoir d’arrêter le flot des récriminations de la vieille gouvernante, il la prit par le bras et l’entraîna jusque dans le corridor.

M. de Sairmeuse et son fils se regardaient d’un air consterné.

Etait-ce là une comédie préparée à leur intention ? Évidemment non, puisqu’ils étaient arrivés à l’improviste.

Or, le prêtre que révélait cette querelle domestique, n’était pas leur fait.

Ce n’était pas là, il s’en fallait du tout au tout, l’homme qu’ils espéraient rencontrer, l’auxiliaire dont ils jugeaient le concours indispensable à la réussite de leurs projets.

Cependant ils n’échangèrent pas un mot, ils écoutaient.

On entendait comme une discussion dans le corridor. Le maître parlait bas, avec l’accent du commandement ; la servante s’exclamait comme si elle eût été stupéfiée. Cependant on ne distinguait pas les paroles.