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Sa charge le retenait à la cour.

S’il n’avait pas donné signe de vie tant qu’avait duré l’Empire, c’est qu’il n’avait pas eu à subir les misères et les humiliations qui attendaient les émigrés dans l’exil.

Il y avait au contraire trouvé, en échange de la fortune délabrée que lui enlevait la Révolution, une fortune royale.

Réfugié à Londres après le licenciement de l’impuissante armée de Condé, il avait eu le bonheur de plaire à la fille unique d’un des plus riches pairs d’Angleterre, lord Holland, et il l’avait épousée.

Elle lui apportait en dot 250,000 livres sterling, plus de six millions de francs.

Cependant ce ménage ne fut pas heureux. Le compagnon des plaisirs trop faciles de M. le comte d’Artois, le gentilhomme qui avait prétendu reprendre sous Louis XVI les mœurs de la Régence, ne pouvait pas être un bon mari.

La jeune duchesse songeait à une séparation quand elle mourut en donnant le jour à un garçon, qui fut baptisé sous les noms de Anne-Marie-Martial.

Cette mort ne désola pas le duc de Sairmeuse.

Il se retrouvait libre et plus riche qu’il ne l’avait jamais été.

Dès que les convenances le lui permirent, il confia son fils à une parente de sa femme et se remit à courir le monde.

La renommée disait vrai : Il s’était battu, et furieusement, contre la France, tantôt dans les rangs Autrichiens, tantôt dans les rangs Russes.

Et jarnibleu ! — c’était un de ses jurons, — il ne s’en cachait guère, disant qu’en cela, il n’avait fait que strictement son devoir. Il estimait bien et loyalement gagné le grade de général que lui avait conféré sur le champ de bataille l’empereur de Russie.

On ne l’avait pas vu, lors de la première Restauration, mais son absence avait été bien involontaire. Son beau-père, lord Holland, venait de mourir, et il avait été re-