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viez plus être à moi puisque vous étiez à un autre !… Je devais rompre le pacte !… J’en eus l’idée, non le courage. J’avais l’enfer en moi, mais vous voir, entendre votre voix, être votre commensal, c’était encore une joie !… Je vous voulais heureuse et honorée, j’ai combattu pour le triomphe de l’autre, de celui que vous aviez choisi !…

Un sanglot qui montait à sa gorge l’interrompit, il voila sa figure de ses mains, pour dérober le spectacle de ses larmes, et pendant un moment il parut anéanti.

Mais il ne tarda pas à se redresser, il secoua la torpeur qui l’envahissait, et d’une voix ferme :

— C’est assez s’attarder au passé, prononça-t-il, l’heure vole… l’avenir menace !…

Cela dit, il alla jusqu’à la porte, et appliquant alternativement son œil et son oreille au guichet, il chercha à découvrir si on l’épiait.

Personne dans le corridor, pas un mouvement suspect ; il était sûr de la solitude autant qu’on peut l’être au fond d’un cachot.

Il revint près de Marie-Anne, et, déchirant avec ses dents la manche de sa veste, il en tira deux lettres cachées entre la doublure et le drap.

— Voici, dit-il à voix basse, voici la vie d’un homme !…

Marie-Anne ne savait rien des espérances de Chanlouineau, et son esprit en détresse n’avait pas sa lucidité accoutumée ; elle ne comprit pas tout d’abord.

— Ceci, s’écria-t-elle, la vie d’un homme !…

— Plus bas !… interrompit Chanlouineau, parlez plus bas !… Oui, une de ces lettres peut être le salut d’un condamné…

— Malheureux !… Qu’attendez-vous alors pour l’utiliser !…

Le robuste gars secoua tristement la tête.

— Est-il possible que vous m’aimiez jamais ? fit-il simplement. Non, n’est-ce pas ?… Je ne souhaite donc point vivre. Le repos, dans la terre, est plus enviable que mes angoisses. D’ailleurs j’ai été condamné justement. Je savais ce que je faisais quand j’ai quitté la Rèche, un fusil