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Déjà l’abbé Midon et Maurice avaient sauté à terre, et ils soulevaient, ils attiraient un corps inanimé, étendu en travers, sur les coussins…

L’énergie si grande de Marie-Anne n’avait pu résister à tant de chocs successifs ; la dernière scène l’avait brisée. Une fois en voiture, tout danger immédiat ayant disparu, l’exaltation désespérée qui la soutenait tombant, elle s’était trouvée mal, et tous les efforts de Maurice et du prêtre pour la ranimer étaient demeurés inutiles.

Mais Mme d’Escorval ne pouvait reconnaître Mlle Lacheneur sous ses vêtements masculins…

Elle vit seulement que ce n’était pas son mari qui était là, et elle sentit comme un frisson mortel qui lui montait des pieds jusqu’au cœur…

— Ton père !… Maurice, dit-elle d’une voix étouffée, et ton père !…

L’impression fut terrible.

Jusqu’à ce moment, Maurice et le curé de Sairmeuse s’étaient bercés de cet espoir que M. d’Escorval serait rentré avant eux…

Maurice chancela à ce point qu’il faillit laisser échapper son précieux fardeau. L’abbé s’en aperçut, et sur un signe de lui, deux domestiques soulevèrent doucement Marie-Anne et l’emportèrent…

Alors il s’avança vers Mme d’Escorval.

— Monsieur le baron ne saurait tarder à arriver, madame, dit-il à tout hasard, il a dû fuir des premiers…

Ah ! Maurice, sur la lande, avait bien jugé sa mère… Sur ce mot, elle se redressa.

— Le baron d’Escorval ne peut avoir fui, interrompit-elle… Un général ne déserte pas en face de l’ennemi… Si la déroute se met parmi ses soldats, il se jette au-devant d’eux, il les ramène au combat où il se fait tuer…

— Ma mère ! balbutia Maurice, ma mère !…

— Oh !… ne cherchez pas à m’abuser !… Mon mari était le chef du complot… les conjurés battus et dispersés