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LE DÉFRICHEUR

quatre heures du matin et je pris le parti de me retirer.

« Le goût de ma ci-devant belle inconnue pour la littérature et la poésie me la montrait sous un nouveau jour. Je m’étais toujours dit que je n’aimerais jamais qu’une femme qui, sans être une savante, serait au moins en état de me comprendre, et partagerait jusqu’à un certain point mes goûts littéraires et philosophiques ; je trouvais encore cette femme dans Mademoiselle DuMoulin.

« Ne sois donc pas surpris si son image est plus que jamais gravée dans mon esprit, et si pendant les deux ou trois heures que j’ai pu sommeiller à mon retour, sa figure angélique est venue embellir mes songes.

« Mais, ô mon cher ami, maintenant que je réfléchis froidement et que je songe à ma position, je me demande : à quoi bon ? à quoi puis-je prétendre ? que peut-on attendre de moi ?

« Encore une fois, mon ami, qu’il est triste d’aimer lorsqu’on est pauvre ! »

« Oh ! si jamais j’ai des enfants — et j’espère que j’aurai ce bonheur, ne serait-ce que dans quinze ou vingt ans — je veux travailler à leur épargner les tortures que je ressens. Si je ne suis pas en état de les établir à l’âge où leur cœur parlera, j’en ferai des hommes comme toi, mon ami. La vie du cultivateur est, après tout, la plus rationnelle.

« J’ai été employé de temps en temps comme copiste, depuis que je t’ai écrit, mais tout cela est bien précaire. — Adieu.

« Tout à toi,
« Gustave Charmenil. »