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LE DÉFRICHEUR

pas dans cette direction. Aussitôt qu’elle m’aperçut, elle fut la première à m’adresser la parole sur un ton engageant :

— Est-ce que vous ne dansez pas, Monsieur ?

— Mademoiselle, je regrette de vous dire que je n’ai pas cet avantage ; je le regrette d’autant plus que cela me prive d’un moyen de me rendre agréable auprès des dames.

— Oh ! mais, Monsieur, les dames ne sont pas aussi frivoles que vous semblez le croire, et il n’est pas difficile de les intéresser autrement ; beaucoup d’autres talents sont même à leurs yeux préférables à celui-là. Par exemple, un grand nombre de dames de mes amies préfèrent la poésie à la danse, et au reste des beaux arts.

« À ce mot de poésie je ne pus m’empêcher de rougir ; elle s’en aperçut et ajouta en souriant :

— Je ne veux faire aucune allusion personnelle, ajouta-t-elle, quoique j’aie entendu dire plus d’une fois que M. de Charmenil faisait de jolis vers.

— Vraiment, Mademoiselle, vous me rendez tout confus : comment a-t-on pu vous apprendre que je faisais des vers, lorsque je suis à cet égard aussi discret que l’est une jeune fille à l’égard de ses billets doux ? Mais, puisque vous l’avez dit, je ne vous cacherai pas qu’en effet je me permets quelquefois de faire des rimes, non pour amuser le public, mais pour me distraire l’esprit et me soulager le cœur.

— Pourquoi donc alors ne les publiez-vous pas ? Vous pourriez vous faire un nom. C’est une si belle chose que la gloire littéraire !…

Mais Mademoiselle, dans notre pays, celui qui voudrait s’obstiner à être poète serait à peu près sûr