Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, le défricheur, 1874.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
LE DÉFRICHEUR

d’intérêt. Quand le sol vierge s’était couvert des jeunes tiges de la semence, comme d’un tapis de verdure, Jean Rivard avait senti naître en son cœur des émotions ignorées jusqu’alors. Ce qu’il éprouvait déjà le dédommageait au centuple de tous ses labeurs passés.

Dans ses heures de repos, son plus grand plaisir était de contempler, assis sur un tronc d’arbre, au milieu de son champ, les progrès merveilleux de la végétation. Plus tard, quand les épis, dépassant la tête des souches, atteignirent presque à la hauteur d’un homme ; il goûtait encore un bonheur infini à contempler cette mer, tantôt calme comme un miroir, tantôt se balançant en ondoyant au gré d’une brise légère.

Il ne fut pas néanmoins sans éprouver, durant cet intervalle de deux ou trois mois, certaines inquiétudes sur le sort de sa récolte. La mouche à blé qui, depuis plusieurs années déjà, ravageait les anciennes campagnes du Bas-Canada, pouvait bien venir s’abattre au milieu des champs de Louiseville ; — la grêle qui quelquefois, en moins d’une minute, écrase et ruine les plus superbes moissons ; — la gelée qui, même dans les mois d’août et de septembre accourant des régions glacées, vient inopinément, au milieu de la nuit, rôtir de magnifiques champs de grains et de légumes, et détruire en quelques heures le fruit de plusieurs mois de travail ; — les incendies qui, allumés au loin, dans un temps de sécheresse, ou par un vent violent, s’élancent tout à coup à travers les bois et, comme le lion rugissant dont parle le prophète, dévorant tout sur leur passage, répandent au loin l’alarme et la désolation — tous ces fléaux dévastateurs