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ÉCONOMISTE.

beau, sur une chaise, sur une voiture, sur n’importe quoi, à la porte d’une église, au coin d’une rue, dans une salle publique ou dans un cabaret, nous haranguons, de toute la force de nos poumons, les libres, et indépendants électeurs. Nous parlons avec force, car dans ces circonstances, il importe plus, comme dit Voltaire, de frapper fort que de frapper juste. Nous passons en revue toutes les affaires du pays, et tu comprends que nous ne ménageons pas nos adversaires ; nous leur mettons sur le dos tous les malheurs publics, depuis le désordre des finances jusqu’aux mauvaises récoltes. Quand nous nous sommes bien étrillés, que nous avons épuisé les uns à l’égard des autres les épithètes de chenapans, de traîtres, voleurs, brigands, et mille autres gracieusetés pareilles, et que les électeurs ont paru nous comprendre, nous nous retirons satisfaits. Il est probable qu’entre eux ils sont loin de nous considérer comme des évangélistes, et qu’ils se moquent même un peu de nous, car ces indépendants électeurs ne manquent pas de malice, comme nous pouvons nous en convaincre assez souvent. Ce qu’il y a de désagréable dans le métier, c’est qu’il prend quelquefois envie à ces messieurs de nous empêcher de parler, et qu’ils se mettent à crier, d’une voix qu’aurait enviée le fameux Stentor de la mythologie : « il parlera, non il ne parlera pas, il parlera, non il ne parlera pas, » et que nous sommes là plantés en face de cet aimable auditoire, n’apercevant que des bouches ouvertes jusqu’aux oreilles et des bras qui se démènent en tous sens. Nous recommençons la même phrase cinquante fois sans pouvoir la finir : bien heureux encore si, pour ne pas nous faire écharper, nous ne sommes