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JEAN RIVARD

du travail aux pauvres, l’oisiveté est inconnue parmi nous. Aussi n’avons-nous pas un seul mendiant dans toute la paroisse de Rivardville. Nous sommes à bon droit fiers de ce résultat. »

En passant devant une des hôtelleries, nous entendîmes, un bruit de voix discordantes, et bientôt nous aperçûmes sur le perron un groupe de personnes au milieu desquelles était un vieillard qui parlait et gesticulait avec violence. Je craignis qu’on n’eût commis quelque voie de fait sur ce pauvre invalide et je proposai à mon compagnon d’intervenir. Mais Jean Rivard se mit à sourire.

« Laissez faire, me dit-il, ce vieillard serait bien fâché de notre intervention. C’est le père Gendreau dont je vous ai déjà parlé. Il est tellement connu dans la paroisse pour son esprit de contradiction que personne ne se soucie plus de discuter avec lui. Il en est réduit à s’attaquer aux étrangers qui séjournent dans nos auberges. En leur engendrant querelle à propos de politique, de chemins de fer, d’améliorations publiques, il peut trouver encore l’occasion de contredire et goûter ainsi quelques moments de bonheur.

« Toutes ces maisons que vous voyez, continua Jean Rivard, sont bâties sur les terrains que j’avais retenus pour mes frères et pour moi, lors de mon établissement dans la forêt ; ainsi mes frères sont devenus riches sans s’en apercevoir. Ma bonne mère en est toute rajeunie. Elle vient nous voir de temps à autre ; rien ne me touche autant que son bonheur. Le seul regret qu’elle laisse échapper, c’est que notre pauvre père n’ait pas pu voir tout cela avant de mourir !