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peut jamais aller au-devant de toutes les critiques, agir sur l’ensemble de l’œuvre, et que les lecteurs s’attachent toujours aux détails ; alors on perd l’envie et le courage de parler, et on se confie à la grâce de Dieu. Portez-vous bien ; faites mes compliments à votre chère femme, et remerciez-la de sa lettre. J’espère avoir bientôt de vos nouvelles.

Jeudi (7 juillet).
Gœthe.

30.

Lettre de Schiller. Appréciation des intentions morales de Gœthe dans son Wilhelm Meister.

Puisque vous pouvez me laisser le huitième livre encore une semaine, je veux présentement borner mes observations à ce livre ; quand l’œuvre entière sera une fois sortie de vos mains et lancée dans le monde, nous pourrons nous entretenir plus longuement de la forme de l’ensemble, et vous me rendrez à votre tour le service de rectifier mes jugements.

Il y a surtout deux points sur lesquels je voudrais, avant le complet achèvement de l’ouvrage, attirer votre attention.

Le roman, tel qu’il est, se rapproche de l’épopée, sous plus d’un rapport, et en particulier parce que vous y employez des ressorts qui représentent, dans un certain sens, les dieux ou la direction suprême du destin. Le sujet l’exigeait.

Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister ne sont pas un effet aveugle de la nature, mais une sorte d’expérimentation. Une haute intelligence qui agit en secret (les puissances de la tour) l’accompagne de sa sollicitude, et, sans déranger la nature dans sa libre marche, elle le surveille et le conduit de loin vers un but dont il n’a et ne peut avoir aucun soupçon. Quelles que soient, extérieurement du moins, la douceur et la légèreté avec laquelle s’exerce cette influence, elle existe réellement, et elle était indispensable pour atteindre le but poétique de l’œuvre. Le terme d’années d’apprentissage exprime une idée de rap-