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pénétrer dans son intimité, et nous montre ce qu’il contient pour l’homme de réel et de sérieux. Il porte en lui une pure et morale image de l’humanité ; c’est à elle qu’il compare, pour l’éprouver, toutes les manifestations extérieures qu’il en rencontre, et, tandis que d’un côté l’expérience l’aide à préciser ses idées un peu vacillantes, le sentiment intérieur vient à son tour rectifier ces idées et l’expérience elle-même. De cette façon, ce caractère vous aide singulièrement, dans tous les événements et dans toutes les situations, à trouver et à recueillir l’élément vraiment humain. Son esprit est un miroir fidèle, mais non pas un miroir passif du monde, et, bien que sa fantaisie influe sur sa manière de voir les objets, cette manière est idéaliste et non pas fantasque, poétique et non pas exaltée ; ce qui en fait le fond, ce n’est pas le caprice de l’imagination, mais une noble liberté morale.

J’ai vu avec plaisir, dans le huitième livre, que Wilhelm commence à se sentir capable de résister à ces deux imposantes autorités, Jarno et l’abbé. C’est une preuve qu’il a profité de ses années d’apprentissage, et la réponse de Jarno dans cette occasion est tout à fait selon mon cœur : « Vous avez de l’humeur, c’est bel et bien ; si vous vous fâchez tout à fait, cela vaudra encore mieux. » J’avoue que sans cette preuve du sentiment qu’il acquiert de sa valeur propre, il me serait pénible de le voir aussi étroitement lié à cette classe de la société, qu’il le devient plus tard par son mariage avec Nathalie. Son vif sentiment des avantages de la noblesse, sa loyale défiance de lui-même et de sa condition, qu’il laisse voir dans tant d’occasions, ne semblent pas le préparer à conserver dans cette situation une complète indépendance, et, même lorsque vous le montrez plus courageux et plus confiant en lui-même, on ne peut se défendre d’une certaine inquiétude pour lui. Pourra-t-il jamais oublier sa nature ? et ne faut-il pas qu’il l’oublie, si son destin doit recevoir son plein accomplissement. Je crains qu’il ne l’oublie jamais entièrement ; il a trop raisonné à ce sujet ; il n’arrivera jamais à s’identifier complétement avec une classe qu’il a vue si positivement au-dessus de lui. La dignité de Lothaire, la double noblesse de Nathalie, noblesse de condition et de cœur, le tiendront toujours dans un certain état d’infériorité. Quand je pense qu’il sera le beau-frère du comte, qui n’adoucit les prétentions de son