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d’un rêve anxieux. Le rêve disparait avec les autres ombres ; mais son image subsiste pour jeter sur le présent un calme de majestueuse inspiration, pour donner au calme et à la sérénité qui lui succèdent une couleur poétique et une infinie profondeur. Cette profondeur, sous une surface calme, qui presque toujours est le propre de votre génie, caractérise spécialement votre roman.

Mais je ne veux pas me laisser aller à en dire plus aujourd’hui, malgré toute l’envie que j’en ai ; je ne pourrais vous rien donner de suffisamment mûr. Pourriez-vous m’envoya le plan du septième livre, dont vous avez fait faire une copie ? Vous me rendriez ainsi le service de me faire connaître le tout en même temps que les détails. Quoique ce livre soit encore tout frais dans ma mémoire, quelque petit anneau pourrait m’avoir échappé dans mon entraînement.

Comme ce huitième livre se rattache bien au sixième, et quel avantage vous avez pu tirer des anticipations de ce dernier ! je le vois clairement maintenant, et je comprends que toute autre marche de l’action serait impossible. On connaît cette famille longtemps avant de la voir agir, et il semble que la connaissance qu’on fait avec elle n’ait pas de commencement ; c’est un tour de force d’optique qui produit le meilleur effet.

Vous avez su faire un usage excellent de la collection artistique du grand-père ; elle devient vraiment un des membres de l’action et semble un être vivant.

Mais assez pour aujourd’hui. Dimanche soir j’espère vous en dire davantage.

Je ne vous ai encore rien écrit à propos d’Hespérus[1]. Je l’ai trouvé à peu près tel que je m’y attendais ; étranger à tout comme un homme tombé de la lune, plein de bonne volonté, et très-disposé à regarder autour de lui, seulement avec d’autres organes que ceux de la vue. Cependant je n’ai encore causé qu’une fois avec lui, et je ne puis, par conséquent, pas en dire grand’chose.

Iéna, le 28 juin 1796.
Schiller.
  1. Surnom donné à Jean-Paul Richter.