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68 LIVRE II. LA FAMILLE.

Combien le caractère de propriété privée est manifeste tout celai Les morts sont des dieux qui appartiennent en pro- pre à une famille et qu'elle a seule le droit d'invoquer. Ces morts ont pris possession du sol; ils vivent sous ce petit tertre, et nul, s'il n'est de la famille, ne peut penser à se mêler à eux. Personne d'ailleurs n'a le droit de les déposséder du sol qu'ils occupent; un tombeau, chez les anciens, ne peut jamais être détruit ni déplacé* ; les lois les plus sévères le défendent. Voilà donc une part de sol qui, au nom de la religion, devient un objet de propriété perpétuelle pour chaque famille. La famille s'est approprié cette terre en y plaçant ses morts ; elle s'est ■ implantée là pour toujours. Le rejeton vivant de cette famille peut dire légitimement: Cette terre est à moi. Elle est telle- ment à lui qu'elle est inséparable de lui et qu'il n'a pas le droit de s'en dessaisir. Le sol où reposent les morts est inaliénable et imprescriptible. La loi romaine exige que, si une famille vend le champ où est son tombeau, elle reste au moins propriétaire de ce tombeau et conserve éternellement le droit de traverser le champ pour aller accomplir les cérémonies de son culte*.

L'ancien usage était d'enterrer les morts, non pas dans des cimetières ou sur les bords d'une route, mais dans le champ de chaque famille. Cette habitude des temps antiques est attestée par une loi de Solon et par plusieurs passages de Plutarque*. On voit dans un plaidoyer de Démosthène que, de son temps encore, chaque famille enterrait ses morts dans son champ, et lorsqu'on achetait un domaine dans l'Attique, on y trouvait la sépulture des anciens propriétaires*. Pour l'Italie, cette même coutume nous est attestée par une loi des Douze Tables, par les textes de deux jurisconsultes, et par cette phrase de Sicu- lus Flaccus: « Il y avait anciennement deux manières de placer

i. Lycurgue, contre LéocroUe, 25. A Rome, pour qu'une sépulture fût déplacée, 11 fallait l'autorisation des pontifes. Pline, Lettres, X, 73.

2. Gicéron, De legib., II, 24. Digeste, liv. XVIII, tit. i, (S.

3. Loi de Solon, citée par Gaïus, au Digeste, X, 1, 13. Plutarque, Aristide, i, Cimon, 19. Marcellinus, Vie de Thucydide, § 17.

4. Démosthène, in Calliclem, 13, 14. Il décrit ailleurs Ih tombeau des Bnsélidei, ■ tertre assez étendu et enclos suivant l'antique usage, où reposent en commun tous ceu qui sont issus de Busélos > (Dém in ilaeart , 7f).

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