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462 LIVRE V. LE RÉGIME MUNICIPAL DISPARAIT.

et la religion il n'y a rien de commun; il sépare ce que toute Tantiquité avait confondu. On peut d'ailleurs remarquer que, pendant trois siècles, la religion nouvelle vécut tout à fait en dehors de l'action tde l'État; elle sut se passer de sa protection et lutter même contre lui. Ces trois siècles établirent un abîme entre le domaine du gouvernement et le domaine de la reli- gion. Et comme le souvenir de cette glorieuse époque n'a pas pu s'effacer, il s'en est suivi que cette distinction est devenue une vérité vulgaire et incontestable que les efforts mêmes d'une partie du clergé n'ont pas pu déraciner.

Ce principe fut fécond en grands résultats. D'une part, la politique fut définitivement affranchie des règles strictes que l'ancienne religion lui avait tracées. On put gouverner les hommes sans avoir à se plier à des usages sacrés, sans prendre avis des auspices ou des oracles, sans conformer tous les actes aux croyances et aux besoins du culte. La politique fut plus libre dans ses allures; aucune autre autorité que celle de la loi morale ne la gêna plus. D'autre part,, si l'État fut plus maître en certaines choses, son action fut aussi plus limitée. Toute une moitié de l'homme lui échappa. Le christianisme enseignait que l'homme n'appartenait plus à la société que par une partie de lui-même, qu'il était engagé à elle p^r son corps et par ses intérêts matériels, que, sujet d'un tyran, il devait se soumettre, que, citoyen d'une république, il devait donner sa vie pour elle, mais que, pour son âme, il était libre et n'é- tait engagé qu'à Dieu.

Le stoïcisme avait marqué déjà cette séparation ; il avait rendu- l'homme à lui-même, et avait fondé la liberté inté- rieure. Mais, de ce qui n'était que l'effort d'énergie d'une secte courageuse, le christianisme fit la règle universelle et inébran- lable des générations suivantes ; de ce qui n'était que la con- solation de quelques-uns, il fit le bien commun de l'hu- manité.

Si maintenant on se rappelle ce qui a été dit plus haut sur l'omnipotence de l'État chez les anciens, si l'on songe à quel point la cité, au nom de son caractère sacré et de la religion qui était inhérente à elle, exerçait un empire absolu, on verra

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