Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1920.djvu/277

Cette page n’a pas encore été corrigée

Athènes; on la trouve à Argos, à Mégare, à Syracuse, et Aristote fait entendre qu’elle existait dans toutes les cités grecques qui avaient un gouvernement démocratique*. Or l’ostracisme n’était pas un châtiment; c’était une précaution que la cité prenait contre un citoyen qu’elle soupçonnait de pouvoir la gêner un jour. A Athènes on pouvait mettre un homme en accusation et le condamner pour incivisme, c’est-à-dire pour défaut d’affection envers l’État. La vie de l’homme n’était garantie par rien dès qu’il s’agissait de l’intérêt de la cité. Rome fit une loi par laquelle il était permis de tuer tout homme qui aurait l’intention de devenir roi*. La funeste maxime que le salut de l’État est la loi suprême, a été formu- lée par l’antiquité’. On pensait que le droit, la justice,, la morale, tout devait céder devant l’intérêt de la patrie.

C’est donc une erreur singulière entre toutes les erreurs humaines que d’avoir cru que dans les cités anciennes l’homme jouissait de la liberté. Il n’en avait pas même l’idée. Il ne croyait pas qu’il pût exister de droit vis-à-vis de la cité et de ses dieux. Nous verrons bientôt que le gouvernement a plusieurs fois changé de forme ; mais la nature de l’État est restée à peu près la même, et son omnipotence n’a guère été diminuée. Le gouvernement s’appela tour à tour monarchie, aristocratie, démocratie; mais aucune de ces révolutions ne donna aux hommes la vraie liberté, la liberté individuelle. Avoir des droits politiques, voter, nommer des magistrats, pouvoir être archonte, voilà ce qu’on appelait la liberté; mais l’homme n’en était pas moins asservi à l’État. Les anciens, et surtout les Grecs, s’exagérèrent toujours l’importance et les droits de la société ; cela tient sans doute au caractère sacré et religieux que la société avait revêtu à l’origine.

1. Aristote, Politique, III, 8, 2; V, 2, 5. Diodore, XI, «7. Plutarqae, Ariêtidt 1 ; ThémislocU, 22. Philochore, éd. Didot, p. 396. Scbol. d’Aristophane Chtva- licrs. 855.

3. Plutarque, Publicola, IX.

i Cicéron, De legib., lU, 3.