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CHAP. XIV. DE L'ESPRIT MUNICIPAL. 239

peuples, mais les croyances de l'homme en ont une bien plus puissante. Entre deux cités voisines il y avait quelque chose de plus infranchissable qu'une montagne : c'était la série des bornes sacrées, c'était la différence des cultes, c'était la bar- rière que chaque cité élevait entre l'étranger et ses dieux. Elle défendait à l'étranger d'entrer dans les temples de ses divinités poliades; elle exigeait de ses divinités ooliades de haïr et de combattre l'étranger*.

Pour ce motif les anciens n'ont pu établir ni même conce- voir aucune autre organisation sociale que la cité. Ni les Grecs, ni les Italiens, ni les Romains mêmes pendant fort long- temps n'ont eu la pensée que plusieurs villes pussent s'unir et vivre à titre égal sous un même gouvernement. Entre deux cités il pouvait bien y avoir alliance, association momentanée en vue d'un profit à faire ou d'un danger à repousser, mais il n'y avait jamais union complète. Car la religion faisait de chaque ville un corps qui ne pouvait s'agréger à aucun autre. L'isolement était la loi de la cité.

Avec les croyances et les usages religieux que nous avons ▼us, comment plusieurs villes auraient-elles pu se confondre dans un même État? On ne comprenait l'association humaine et elle ne paraissait régulière qu'autant qu'elle était fondée sur la religion. Le symbole de cette association devait être un repas sacré fait en commun. Quelques milliers de citoyens pouvaient bien, à la rigueur, se réunir autour d'un même pry- tanée, réciter la même prière et se partager les mets sacrés. Mais essayez donc, avec ces usages, de faire un seul État de la Grèce entière ! Comment fera-t-on les repas publics et toute» les cérémonies saintes auxquelles tous les citoyens sont tenus l'assister? Où sera le prytanée? Comment fera-t-on la lustra- tion annuelle des citoyens ? Que deviendront les limites invio- lables qui ont marqué à l'origine le territoire de la cité et qui l'ont séparé pour toujours du reste du sol? Que deviendront, tous les cultes locaux, les divinités poliades, les héros qui habitent chaque canton? Athènes a sur ses terres le héros

1 On Toit asseï que nous ne parlons ici que (k l'âge antique des cités. Ces scn- timeaU m sont fort affaiblis avec le tempe.

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