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CORRESPONDANCE ET FRAGMENTS INÉDITS

se prononcer sur le caractère absolu des choses se reproduit à propos de l’image, comme elle existe à propos de l’objet. Il faut toujours en revenir à ce point du problème, à ce point difficile : déterminer ce qu’il y a d’arbitraire ou d’absolu dans les apparences, savoir ce que l’homme aperçoit d’invariable dans les choses, ce qu’il constate, ce qu’il imagine, de combien il s’en approche, de combien il s’en écarte, et ce qu’il y a de plus affîrmatif dans les données que nous avons sur le vrai, ou le témoignage de tous ou celui de quelques-uns. Qu’est-ce que voir comme tout le monde ? Comment tout le monde voit-il ? Est-ce avec négligence, avec distraction ? Est-ce voir à faux, n’est-ce voir qu’à peu près ? La nature traduite suivant le goût de tout le monde, c’est-à-dire d’après les yeux de tout le monde, n’est plus du tout ce qu’elle est selon le goût de ceux qui se flattent de la voir mieux. Dans le premier cas, elle est banale, vulgaire, platement réelle^ dit-on ; et la ressemblance alors n’en serait pas douteuse. Dans le second cas, elle est originale, imprévue, de physionomie toute singulière, de ressemblance plus contestée mais plus intime et plus profonde. Il y a donc deux ressemblances, celle qui frappe les foules, et celle qui seule satisfait les esprits d’élite, c’est-à-dire les yeux plus attentifs, plus pénétrants et plus sagaces ; l’une extérieure, l’autre de fond. Ressembler à l’extérieur des choses, c’est s’arrêter aux phénomènes les plus ordinaires de la vie, et pénétrer plus avant, c’est déjà dépasser les apparences et découvrir ce qui, comme on dirait, est invisible.

« La nature serait donc à la fois telle qu’on la voit d’ordinaire, telle qu’on l’observe rarement, telle qu’on ne la découvre que quelquefois, et telle aussi probablement qu’on ne l’aperçut jamais. En soi, en prin-