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BIOGRAPHIE

« À quel pois les doit-on peser
« Ces regars, sans lui abuser.
« Je le sauroie volontiers. »
— « Il ne vous est mie mestiers
« Dame, di-je, que le vous die,
« Car sans mettre y vostre estudie
« Vous en savés là et avant.
« J’en parolle par convenant
« Si com cils qui en vos regars
« Prenc grant solas, quant les regars.
« Mès ce n’est mie si souvent
« Que je vodroie par convent.
« Toutes fois il me fait grant bien
« Quant, par vo grasce et par vo bien,
« Mon coer qui est si mehaigniés
« Un petit conforter dagniés. »
Et ma dame, tout en riant,
Me dist : « Tels va merci criant
« Qui n’est mie si dolerous
« Comme il se monstre languerous. »
De tels mos et d’aultres aussi,
Qui n’atouchoient nul soussi
Ains estoient plain d’esbanois
De chiens, d’oiseaus, de prés, d’erbois,
D’amourettes, tant que sans compte,
Fesimes nous adont grant compte
En grant joie et en grant revel.
Il nous estoit tout de nouvel,
Le temps, les foeilles, les flourettes,
Et otant bien les amourettes.
Moult me plaisoit ce qu’en avoie,
Et quant elle se mist à voie,
Li congiés y fu si bel pris
Qu’encor je ce lieu aime et pris,
Et le gardin et la maison ;
Tousjours l’amerai par raison.
Maint solas et maint esbanoi
Avec ma dame en ce temps oi,
Tant que de venir et d’aler,
De véoir et d’oïr parler.
Aultrement n’aloit ma querelle ;
Mès il me sembloit qu’elle ert belle,
Puisque par le gré de ma dame
Je pooie, tant qu’à mon esme,
Avoir par sa discrétion
Un peu de recréation,
Mès c’estoit assés à escars,
De parolles et de regars ;
Car je ne m’osoie avancier,
Ne où madame estoit lancier,
Si ce n’estoit tout en emblant.
Paourous et de coer tremblant
Pluisours de mes esbas faisoie ;
Car pour ma dame je n’osoie,
Se l’eure n’avoie et le point,
Et on le m’avoit bien enjoint
Aussi, que tout ensi fesisse ;
Si que, s’autre estat je presisse
Que cesti qu’on m’avoit apris,
J’euisse esté trop dur repris.
Si me convenoit ce porter
Et moi bellement conforter,
Et le plaisir ma dame attendre
Où par bien je pooie tendre.
Et aultrement ne le fis oncques.
Elle le savoit bien adonques,
Aussi je li monstroie au mains.
Mès, par Dieu ! c’estoit sus le mains.
Par parolles ne li pooie
Monstrer l’amour qu’à li avoie,
Fors que par signes et par plains,
De quoi j’estoie lors moult plains.
À l’entrée dou joli may,
Ceste que par amours amai
Un jour esbatre s’en ala.
De son alée on me parla
Et de celle qui o li furent.
Je soc bien l’eure qu’elles murent.
Moi et un mien ami très grant,
Pour faire mon plaisir engrant
Nous mesins en cesti voiage ;
Et par ordenance moult sage
Mon compagnon nous fist acointe
De celles dont j’oc le coer cointe ;
Car sans ce qu’on s’en perçuist
Et que nulles d’elles sceuist
Au mains celle que je doubtoie,
Avec elles fumes en voie.
Diex ! que le temps estoit jolis,
Li airs clers et quois et seris,
Et cil rosegnol hault chantoient
Qui forment nous resjoïssoient !
La matinée ert clere et nette.
Nous venins à une espinette
Qui florie estoit toute blanche
Haulte bien le lonc d’une lance ;
Dessous faisoit joli et vert.
Bien fu qui dist : « Cils lieus ci sert
« Droitement pour lui reposer.
« Le desjun nous fault destourser. »
À la parole s’acordan
Et le desjun là destoursan,
Pastés, jambons, vins et viandes,
Et venison bersée en landes.
Là ert ma dame souverainne.
N’estoit pas la fois premerainne
Que je ne l’osoie approcier.
Trop doubtoie le reprocier ;
Et encores tant qu’à ceste heure,
Se Jhesus me sault et honneure !