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RÉDACTION PRIMITIVE

monseigneur Robert d’Artois, monseigneur de Couchy, monseigneur de Soully, le seigneur de Roie, et pluiseurs autres, qui honnourablement l’enmenèrent en la chité de Paris devers le roy de France son frère ; et là ly fu fait très grant honneur et à toute sa compaignie.

CHAPITRE VII.

Quant ly rois vit sa seur, à l’entrer en sa chambre il ala contre ly et le prist par la main. Si le baisa en bienveignant doucement, et luy dist : « Ma belle seur, vous et mon beau nepveu, nous soyez bien venu. » Lors se volt la roynne ajenouiller par deux ou par trois fois contre luy ; mais il le tenoit adiès par la main et ne ly laissoit faire. Si l’enmena oultre. Dont luy demanda moult doucement de tout son estat ; et la dame luy respondy moult doucement et sagement. Si lui dist : « Mon très chier sire et frère, si nous va, moy et mon fil, malvaisement, car mon mary roy d’Engleterre m’a pris en hayne ; si ne scet pourquoy ; et tout par l’enort d’un seul chevalier, Huon le Despensier ; car celui a tellement monseigneur trait à soy, que tout ce qu’il lui veult dire est fait. Et jà par lui sont mors pluiseurs haulx barons d’Engleterre, car à ung jour en fist prendre et les testes copper jusques à vingt-deux ; et par espécial le bon conte Thomas de Lenclastre, dont ce fu grans dommages ; car chils estoit bons preudoms, de sainte vie et plains de bon conseil ; et n’y a si bon en Engleterre, tant soit noble, qui oseroit dire encontre luy. Et tant qu’à moy fu dit en grant privé que l’envie estoit si grande sur moy, que se je demouroie encore un peu ou pays, par ceste malvaise infourmacion, que ly rois me feroit morir ou languir en honte et en povreté, sans ce que je l’aye desservi, ne volroie faire ; car onques envers luy ne pensay mal, ne fis chose dont on me deuist blasmer. Et quant j’euch oyes ces dures nouvelles si périlleuses sur moy, je m’avisay, pour mieulx faire, que je me partiroie d’Engleterre ; si vous verroie véir, et remonstrer comme à mon frère la grande et dure besongne et le péril en quoy j’estois. Et pareillement en tel point est le conte de Kent que là véez, qui est frère à mon mary le roy, et par l’esmouvemens et faulx ennors de ce Huon le Despensier. Si sumes chi afuys, comme vous véez, desconseilliez, desconfortez et esgarez, devers vous, pour prier de conseil et de confort avoir ; car se Dieux et vous n’y remédiez, je ne me sçay vers qui retraire. »

CHAPITRE VIII.

Quant le noble roy de France eut oy ainsi sa seur lamenter, et tenrement plourant remonstrer sa besongne, si l’en prist grant pitié ; ce fu raison. Lors lui dist : « Ma belle seur, apaisez-vous et vous reconfortez ; car, par le foy que je doy à Dieu et à saint Denys, je y pourverray de remède. » Adont la dame s’ajenouilla, volsist ou non ; se lui dist : « Mon très chier frère et seigneur, Dieux vous en veulle oïr qui le vous veulle remérir. » Lors le prist le roy entre ses bras, et l’enmena en une autre chambre qui estoit moult richement parée pour ly et le josne Édouart son fil ; et là fu conjoye et servie comme à telle royne appartenoit, et luy fist le roy delivrer toutes les choses qui à eulx estoit mestier pour leur estat. Depuis ne demoura gaires que le noble roy Charle fist assambler plenté de grans seigneurs du royalme, pour avoir conseil et advis quel chose il porroit faire de ceste besongne, car il avoit promis par sa foy confort et ayde. Si fu conseillié au roy, pour le mieulx faire, qu’il laissast à la damme pourcachier amis, pour li conforter, ou royalme et ailleurs, et de sa personne se faindesist de ce fait ; car de mouvoir guerre entre lui et les Englès estoit grans périls ; mais couvertement et secrètement lui aidast du sien, d’or et d’argent, et elle trouveroit assez d’amis. À ce s’accorda le roy et l’eut en convent qu’il luy feroit ayde de mise. Adont fu la royne moult resjoye. Et adonc fu querquiés secrètement messire Robert d’Artois, qui estoit l’un des plus grans barons qui là fust, qu’il lui aidast à pourcachier amis aux gentils et nobles bacelers du pays et d’ailleurs. Et ainsi la roynne d’Engleterre, parmy l’ayde de messire Robert, se pourcacha ; et tant leur promist et donna, qu’elle eut moult de noble chevalerie et de bonne de son accort, qui tout lui promirent de luy aidier à remectre de force ens ou royalme d’Engleterre, et grant désir en avoient.

CHAPITRE IX.

Or vous diray un petit du malvais messire Hue le Despensier. Quant il vit que la roynne s’estoit par devers le roy ainsi retraite il s’a-